Nationalité française Né en 1926 à Sauve (France). Décédé en 1987 | Biographie Bibliographie Liste expositions |
Robert Filliou entre en 1943 dans la Résistance organisée par les communistes, adhère pendant la guerre au PCF (qu'il quittera après l'exclusion de Tito de l'Internationale communiste). En 1947, il se rend aux Etats-Unis pour y rencontrer son père jusqu'alors inconnu. D'abord manœuvre à Los Angeles chez Coca-Cola, il entreprend des études (tout en faisant de "petits boulots" pour gagner sa vie) et obtient un master en sciences économiques 1.
En 1951, il prend la double nationalité franco-américaine. Conseiller aux Nations-Unies, il est envoyé pendant trois ans en Corée pour participer à la rédaction de la Constitution et aux programmes de reconstruction économique du pays. De là, il voyage en Extrême-Orient 2. De 1954 à 1959, il réside en Egypte, en Espagne et au Danemark, où il rencontre Marianne Staffels, la femme avec qui il partagera sa vie et ses activités artistiques. En 1959, il revient en France (il y séjournera régulièrement par la suite). Toutefois, il ne reste attaché à aucun pays (il dira lui-même : nationalité = poète, profession = Français). A Paris, à la Contrescarpe, Daniel Spoerri l'introduit dans le monde des plasticiens. C'est alors le plein "boom" des années 60, avec le retour en force des idées duchampiennes, l'apparition de Fluxus et l'avant-garde effervescente des Nouveaux Réalistes.
Nourri de sciences économiques et de pensées bouddhistes, il n'est attaché à aucun pays en particulier : "Je ne m'intéresse pas uniquement à l'art, mais à la société dont l'art est un aspect. Je m'intéresse au monde en tant que tout, un tout dont la société fait partie. Je m'intéresse à l'univers, dont le monde n'est qu'un fragment. Je m'intéresse en premier lieu à la Création Permanente dont l'univers n'est qu'un produit." L'oeuvre d'art est pour lui un moyen d'action directe sur le monde. Si le souci du brahmane est d'intégrer tous les actes de la vie aux rites et devoirs religieux, celui de Filliou est de les intégrer au devoir artistique, "sans se soucier de la diffusion ou non-diffusion des oeuvres" : "Lorsque tu fabriques c'est de l'art, lorsque tu finis c'est du non-art, lorsque tu l'exposes c'est de l'anti-art."
En 1960, Robert Filliou conçoit sa première oeuvre visuelle, Le Collage de l'immortelle mort du monde, transcription d'une pièce de théâtre aléatoire comparable à un damier de jeu d'échecs sur lequel s'exprimeraient toutes sortes d'expériences individuelles 3. En 1961, à la galerie Addi Kôcpke (Copenhague), se tient sa première exposition personnelle, Suspens Poems, poèmes sous forme d'envois postaux.
En 1962, Robert Filliou, qui tient à vivre en dehors du circuit des expositions, porte sa galerie dans son chapeau. Il devient son propre lieu d'exposition : "La Galerie Légitime". Les oeuvres, rassemblées dans le fond de son béret et accompagnées du tampon "Galerie Légitime Couvre Chef d'Oeuvre", circulent dans la rue avec lui (l'idée n'est pas sans rappeler la valise de Marcel Duchamp). C'est alors qu'il rencontre George Maciunas, centralisateur des activités de Fluxus. "La Galerie Légitime" invite plusieurs artistes à y exposer. C'est un art d'attitudes et de gestes, plutôt que des travaux monnayables.
En 1963, il crée avec l'architecte Joachim Pfeufer le projet du Poïpoïdrome 4, lieu de rencontre et centre de "Création Permanente" qui se situe à l'intersection de deux courants : action et réflexion. Il n'y a rien à "apprendre" pour participer : ce que les utilisateurs savent suffit.
En 1965, Robert Filliou fonde avec George Brecht, à Villefranche-sur-Mer, la galerie "La Cédille qui sourit" 5, généralement close, car les artistes sont au "café du coin" : "C'est là, à mon avis, qu'on a les meilleures idées". Puis ils fondent "Eternal Network, La Fête Permanente" : "L'artiste doit se rendre compte qu'il fait partie d'un réseau social plus vaste, de la "Fête Permanente" qui l'entoure partout et ailleurs dans le monde." Après les ébauches filmographiques de "La Cédille qui sourit", il réalise avec George Brecht et Bob Guiny l'Hommage à Méliès pour revendiquer l'émerveillement devant la simplicité des vieux films muets et, avec Emmett Williams, le Double Happening, Contribution for Happening & Fluxus, une performance réalisée dans les toilettes pour femmes de l'académie des Beaux-Arts de Dusseldorf. Il publie, aux éditions König à Cologne, un pluri-livre, Teaching and Learning as Performing Arts [Enseigner et apprendre en tant que performance] : happenings, événements, poésie d'action, environnements, poésie visuelle, films, spectacles dans la rue, musique non instrumentale, jeux, échanges de lettres, etc.
En 1971, il crée "la République géniale" : les gens viennent sur son territoire y développer leur génie plutôt que leur talent. La recherche n'est plus le domaine privilégié de celui qui sait, mais de celui qui ne sait pas.
Dans Le Petit Robert Filliou, il définit entre autres les principes d'Economie Poétique pour lesquels il est nécessaire d'élaborer une nouvelle échelle des valeurs. Le Petit Robert Filliou sert de scénario à un film Super 8 qu'il réalise en 1972 avec Bob Guiny. Un Eté de Films, puis Faites-le vous-même pour le premier Festival du film érotique de Copenhague, sont de petites histoires jouées par l'artiste. La conception de ses films reste avant tout faite d'humour, de dérision et d'aléatoire, et fortement liée à l'esprit Fluxus.
Le 17 janvier 1973, soucieux d'unir les hommes de tous les temps, il fête à la Neue Galerie der Stadt d'Aix-la-Chapelle le 1 000 010e Anniversaire de l'Art. "L'art doit revenir au peuple auquel il appartient." 10 ans s'étant écoulés depuis que Filliou a ébauché son "Histoire chuchotée de l'art", 1 000 010 années correspondent à la date arbitraire de l'apparition de l'homme sur la Terre. L'artiste travaille sur la recherche de l'origine et propose un nouveau concept, "Le Génie prébiologique". En 1974, il conçoit Recherche sur l'origine, une oeuvre en tissu de 90 mètres de long et 3 mètres de haut, à l'intérieur de laquelle le spectateur peut se promener : "Ce que je voulais transmettre était que chacun a son propre territoire et qu'on ne doit pas se référer à une autorité supérieure pour se faire une opinion."
En 1975, le projet du Poïpoïdrome à Espace Temps Réel P00 est présenté au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, puis, en 1978, au Centre Georges Pompidou à Paris. Le Prototype Optimum n° 00 est une version matricielle de 24 m2 destinée à tous publics, un "Centre de création permanente, d'inutilité publique".
En 1977, Robert Filliou réside au Canada, où il réalise plusieurs vidéos. Ce n'est pas le médium en soi qui l'intéresse. L'artiste, qui ne s'est jamais soucié de faire des "oeuvres d'art", choisit n'importe quel matériau pourvu qu'il véhicule ses idées, ses pensées, et qu'il relie les territoires des génies les uns aux autres. C'est dans ce sens-là qu'il utilise la vidéo, non seulement pour garder une trace de ses performances comme beaucoup d'artistes le font depuis la fin des années 60, mais aussi pour pouvoir diffuser son oeuvre : "Pour toucher le public que nous voulons, je crois que ce sera la vidéo qui va le faire". Il imaginera un projet de "Video-Universe-City" 6 comme moyen de propager la Création Permanente.
Robert Filliou se retire avec sa femme Marianne, pour 3 ans 3 mois et 3 jours, dans un centre bouddhiste des Eyzies en Dordogne. Il réalise en 1987 sa dernière oeuvre, Time is a Nutshell, composée de quelques noix évidées pour y enfermer quelques mots. Le 2 décembre, Robert Filliou meurt en bouddhiste, après avoir pratiqué la recherche de l'Eveil par les textes védiques et par Fluxus.
Catherine Ouy
1 Robert Filliou, attiré par les systèmes d'organisation tant de l'individu que du monde, incluera les systèmes économiques dans sa pratique artistique.
2 Robert Filliou s'initie au bouddhisme et, au Japon, à la philosophie Zen. Cela aura une influence considérable sur son oeuvre, particulièrement dans la définition du "Filliou idéal" ("ne rien décider, ne rien choisir, ne rien vouloir, ne rien posséder, pleinement éveillé, tranquillement assis, sans rien faire") et dans le Principe d'Equivalence (il est équivalent qu'une oeuvre soit bien faite, mal faite ou pas faite).
3 La trame de la pièce, règle du jeu pour dix comédiens, est l'expression de la complexité du rapport de l'individu au collectif. C'est aussi une sorte de mandala, représentation géométrique et symbolique de l'univers, circuit mental de participation au monde.
4 Poïpoï, mot emprunté aux Dogons, est la réponse aux questions de salutation de politesse : "Comment va ta vache ? Comment va ta maison ?" - auxquelles l'autre répond par un simple "poï poï", avant de se séparer ou, parfois, recommencer.
5 Sorte d'atelier-boutique, ouvert uniquement sur rendez-vous, conçu comme Centre international de Création Permanente. On y fait des jeux, on y fabrique des objets, des rébus, des poèmes à suspens vendus par correspondance. On y entreprend une anthologie des malentendus et des blagues, à partir desquels seront réalisées des ébauches de films. "La Cédille qui sourit" cessera ses activités le jour de son troisième anniversaire.
6 Voir la bande vidéo Teaching and Learning as Performing Arts, 1979.