Nationalité américaine
Née en 1936 à New York (États-Unis)
Vit et travaille à New York (États-Unis)
Biographie
Bibliographie
Liste expositions

Biographie

La new-yorkaise Joan Jonas (née Joan Amerman Edwards en 1936) est considérée comme une pionnière de la performance. Très tôt, cette diplômée d'histoire de l'art (Mount Holyoke College, 1954-58), sculpteur (Boston Museum School, 1958-61) et artiste (Columbia University, 1961-64), trouve dans l'art de la performance un moyen de synthétiser divers éléments comme le film, la vidéo, le dessin, le décor dramatique et narratif.

Son thème central est la représentation, l'expérience, la pénétration et la fragmentation de l'espace réel et illusoire.

Au moment de sa première performance publique en 1968, elle prend des leçons de danse (1968-69) chez Trisha Brown, Deborah Hay, Yvonne Rainer et aussi Steve Paxton, qui a également collaboré par la suite à ses Outdoor Perfomances.
Joan Jonas réunit divers supports et éléments dans ses actions life symboliques et multiformes : un collage d'accessoires existants avec notamment des caractères populaires (masques), des dessins, de la vidéo et un moniteur, une installation, des acteurs amateurs et des extraits de légendes et de contes. Elle s'intègre elle-même dans la performance comme actrice, chanteuse et danseuse.

Le miroir, qui apparaît dans toutes ses premières oeuvres, représente pour elle un objet clé du caractère archétypal. A l'instar de l'objet de la (més)intelligence de Lacan et souvent utilisé comme figure de style pendant la transition entre le modernisme et le post-modernisme, le miroir revêt chez Joan Jonas une signification métaphorique, un moyen de rupture, de déformation et de répartition en profondeur de l'espace, tout autant qu'un transmetteur de signaux dans un paysage. Dans ses Mirror Pieces (1969-71), le miroir fait office de composant duplicateur de la réalité, comme une image dans l'objet de l'image, qui reflète le regard de l'observateur vers lui-même et qui associe la performeuse au public, dans une expérience mutuelle de déjà vu se reproduisant à l'infini. Observateur commentateur et élément réflecteur de la réalité, il ajoute, de par la duplication de la scène, une composante troublante, déformante (puisque comme par morceaux). Le miroir inclut également le public, multiplie l'événement spatial et représente l'illusion et l'imagination dans le contexte de la représentation d'image.

Les Outdoor Performances (1970-1990) de Joan Jonas, jouées en plein air ou dans les banlieues, présentent le phénomène de la désynchronisation : la temporisation (delay) entre le son et l'image dans l'espace par l'éloignement. Des sons, comme ceux de bûches de bois que l'on frappe, la lecture d'extraits de textes, du brouhaha, des chants ou la sirène d'un bateau, comme dans Beach Piece (1970), Delay Delay (1972), Song delay (1973), sont combinés à des jeux visuels, acoustiques et expérimentaux avec des roues, des cannes, une longue perche, etc. Le miroir fonctionne ici comme transmetteur de signaux acoustiques, notamment par rapport à leur temporisation et leur déformation.

Mais dans quelle mesure le support vidéo s'intègre-t-il dans son travail ? D'une part, il assume la fonction de miroir spécifique de la rétroaction, un peu comme dans un processus en circuit fermé (feed back), comme représentation des activités de performance de Joan Jonas. D'autre part, il reflète ses actions, comme le dessin ou certains mouvements, uniquement à l'écran. L'artiste agit ainsi via le mouvement et l'observation de l'écran, en même temps comme performeuse et comme régisseur. Dans Organic Honey (1972-74/1980), un spectacle présenté, modifié et enrichi à plusieurs reprises, le moniteur vidéo sert à son tour de miroir aux réflexions personnelles de Joan Jonas déguisée en jolie séductrice. Ses observations personnelles revêtent dès lors un caractère quasi auto-référentiel et elle décrit la difficulté de maintenir l'équilibre entre "agir" et "observer en même temps", sans tomber dans le solipsisme.

La plupart de ses performances intègrent des films ou des bandes vidéo tournés à cet effet, comme dans Vertical Roll au début des années 70 ou He saw her burning de la performance du même nom en 1983. Dans les deux cas, Joan Jonas intègre en la modifiant dans ses détails la vidéo réalisée pour une première performance. La patience et le mode de perception de l'observateur sont mis à l'épreuve dans ce très long Vertical Roll d'une durée de 19 heures, d'autant plus que l'image fuit toujours vers le bas, comme s'il y avait une panne.

Réunis par un intérêt commun pour le cinéma d'avant-garde, Joan Jonas et Richard Serra se rencontrent aux Anthology Film Archives (Archives des films d'anthologie) de New York. Ils ont vécu et travaillé quelques années ensemble : Richard Serra s'impliquait dans ses performances et ils tournèrent ensemble le film Paul Révère en 1971.

Joan Jonas est une passionnée des cultures primitives et populaires. Après ses études en histoire de l'art, elle s'intéresse à l'art antique chinois et grec et entreprend des voyages en Europe et au Japon à partir de 1958.

Dans Mirage (1976), une performance film et vidéo, elle intègre deux anciennes actions, Funnel (1974) et Twilight (1975) : dans Funnel, elle utilise de nouveau le moniteur vidéo dans un processus de circuit fermé comme miroir ambulant. Elle s'observe elle-même, utilisant divers objets, notamment un entonnoir métallique en guise de flûte, de chant et de sarbacane, essayant des masques et des gestes, endossant ainsi divers rôles pour une longue observation narcissique du soi. Un des aspects importants de Mirage est le dessin. Dans le film destiné à cette performance, Joan Jonas s'est enregistrée elle-même, dessinant sans cesse des images au tableau et les effaçant au fur et à mesure. Elle associe ce processus de "dessins infinis" au livre des morts rituel des habitants de Nouvelle-Guinée, les Moluques: "Là-bas, on dit que celui qui veut passer d'un monde à l'autre doit terminer un dessin fait dans le sable par une vieille femme, la sorcière dévoreuse, à la frontière entre la vie et la mort".

A partir de 1976, Joan Jonas intègre un nouvel aspect dans son œuvre : les représentations de contes. Enthousiasmée par une représentation pour enfants et se fondant sur ses éléments rituels, chamaniques et magiques, elle crée Juniper Tree basé sur les contes des frères Grimm. L'installation (1994) qui en a découlé montre les images peintes en arrière-plan pendant chaque performance.

Un aspect important de ses actions est l'absence d'un point central ou d'une action principale, puisque Joan Jonas veut avant tout inclure le processus du moment dans son travail et intègre de nombreux éléments différents, notamment le théâtre japonais.

Les performances multimédias apparaissent chez elle à partir des années 80. Volcano Saga (1985-1994) traite d'une légende islandaise médiévale sur les rêves d'une femme. Joan Jonas associe ici la vidéo de sa performance en solo avec des diapositives originales de son séjour en Islande et avec ses dessins. Dans le Sweeney Astray réalisé lors de sa rétrospective à Amsterdam, elle ajoute un support électronique, avec de la musique et des bruitages.

La déclaration suivante de Joan Jonas nous instruit sur le rôle central que joue l'intégration de la vidéo comme véhicule de perception du temps et de l'espace dans ses performances : "La vidéo est un moyen qui élargit les frontières de mon dialogue intérieur, pour inclure le public. La perception est celle d'une réalité double : moi comme image et performeuse. Je considère le travail en termes de poésie imagiste, d'éléments disparates juxtaposés... une alchimie."

Lilian Haberer