Nationalité américaine
Né en 1943 à New York (États-Unis). Décédé en 1978
Biographie
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Biographie

Gordon et son frère jumeau Sebastian sont nés de la brève union du peintre chilien Roberto Matta et de l'artiste américaine Anne Alpert née Clark, qui se séparent juste après leur naissance. La légende posthume de Matta-Clark en fait un casse-cou et un fugitif, il grandit cependant dans un milieu cultivé et aisé grâce à son père, avec pour parrain Marcel Duchamp.

En 1962, il quitte New York, dont il est originaire pour Ithaca, afin d'étudier l'architecture à l'université de Cornell. Ancien assistant du Corbusier, Matta père considère l'architecture comme une discipline fondamentale et formatrice. Si l'influence de son père se fait sentir dans ce choix, l'aspect politique est cependant déjà une préoccupation pour le jeune artiste, l'architecture étant vue comme le moyen d'abolir les différences sociales.
Suite à un grave accident de voiture, Gordon Matta interrompt ses études à Cornell en 1963, et part étudier la littérature française à la Sorbonne, où il découvre les philosophes français et le situationnisme de Guy Debord.

De retour à Cornell, son professeur d'histoire de l'art du 20è siècle ouvre les portes de sa maison victorienne aux étudiants pour des soirées. Gordon Matta y fait ses premières performances, où des structures gonflables envahissent progressivement l'espace, contraignant le public à sortir du lieu. En 1968, après l'obtention de son diplôme, il organise une performance en hommage à son parrain tout juste décédé. Si l'on n'a pas de document sur les premières performances, dès 1969, la photo, la vidéo et de nombreuses esquisses vont documenter ses démarches.
La rencontre décisive avec l'artiste conceptuel Dennis Oppenheim a lieu pour la préparation d'une exposition à la galerie d'art de l'école, juste avant son retour à New York en 1969.
Introduit sur la scène artistique new yorkaise par le marchand d'Oppenheim, il réalise Photo-Fry pour sa première exposition de groupe. Dans l'espace de la galerie, Matta fait frire dans l'huile des photos, qu'il va par la suite envoyer par la poste à ses amis. La transformation matérielle de l'image dans la poêle à frire évoque un rituel d'alchimie, comme pour révéler une image cachée. Ce geste iconoclaste annonce un goût pour la restauration, qui se concrétise par l'ouverture le 25 septembre 1971 du restaurant Food. Lieu associatif pour venir en aide aux artistes en plein Soho, Food, outre sa fonction de vendre de la nourriture, est un lieu de rencontres et de performances manifestant la volonté de Gordon de briser la frontière entre l'art et la vie. Alors qu'il tente de vendre ce lieu comme oeuvre au galeriste Léo Castelli, Gordon Matta ajoute à son nom celui de jeune fille de sa mère afin de ne pas être associé à son père, signe d'un détachement personnel et professionnel.

Sa première découpe ("cutting") a lieu dans le sauna de son nouveau loft dans lequel il filme ses amis. Il découpe et extrait un fragment de cette pièce révélant la structure du mur. Il réitère ce geste dans le restaurant, parlant de sandwich en extrayant une tranche du mur et révélant ainsi la face cachée de la structure.
La même année, il voyage avec Jeffrey Lew au Chili, où il organise une exposition dans le musée de Santiago. Là, il découpe l'architecture en tenant compte de la lumière du soleil comme ce sera le cas par la suite. Un trou est creusé depuis les toilettes pour hommes au sous-sol jusqu'au toit du bâtiment. En posant des miroirs à différents angles, la lumière du soleil vient jusqu'en bas, comme une inversion de l'espace. "Undoing" (défaire) est l'autre nom très explicite qu'il donne aux "cutting", renvoyant à la notion contemporaine de déconstruction du philosophe Jacques Derrida.

En 1972, il démarre sa série des Bronx Floors, documentée en photo. Si le risque physique a toujours été un enjeu dans son travail, sa légende débute avec ce travail entrepris de façon clandestine dans des bâtiments abandonnés du Bronx, quartier très mal famé à l'époque. Ces expéditions pour découper des trous dans des immeubles étaient dangereuses non seulement pour le travail de découpe fragilisant la structure du bâtiment et la manipulation de blocs de murs volumineux mais aussi à cause de la mauvaise fréquentation des lieux.

En 1973, le groupe anarchitecture voit le jour, réunissant une dizaine de personnes, dont entre autres Laurie Anderson, Carol Goodden, Suzanne Harris et Jene Highstein, autour de jeux de langage aussi bien que de construction et d'exposition collective, dont la première a lieu en 1974. Selon lui "le but architectural du groupe était plus évasif que de faire des pièces pour démontrer une attitude alternative aux constructions... on pensait plus aux espaces métaphoriques, aux terrains vagues, aux lieux non développés... par exemple les endroits où vous vous arrêtez pour nouer vos lacets, des endroits qui sont juste des interruptions dans vos mouvements quotidiens."*

Probablement l'œuvre la plus célèbre, Splitting (1974) est une maison d'un étage entièrement coupée en deux, laissant passé à l'intérieur un rai de lumière. Des photos permettent de voir le jeu de lumière fait par Matta-Clark, mais aussi le jeu de construction-déconstruction pensé sur le bâtiment et montré avec des collages de photos. Une vidéo retrace tout le processus du travail, soulignant son intérêt pour l'aspect manuel de cette intervention. La maison est une métaphore de la société et dans le même temps un objet à part entière, qu'il saisit et transforme. Le geste de découpe est à considérer comme libérateur pour l'artiste.
Son travail prend une échelle de plus en plus importante et en 1975, c'est un hangar sur les quais de New York qu'il s'approprie. Le film Day's end retrace la découpe du bâtiment sur le quai Pier 52. Toujours en relation avec la lumière les ouvertures en font un "temple du soleil et de l'eau", permettant des vues sur le fleuve Hudson et des jeux de lumières sur le sol et les murs, pour lesquels Matta-Clark a évoqué l'idée de rosace.
L'histoire se termine mal puisqu'il est poursuivi par la justice et quitte les Etats-Unis pour la France devenant un fugitif.

Arrivé à Paris, il poursuit l'exploration des formes circulaires dans l'espace inaugurées avec Pier 52. Inspiré par le film Line Describing A Cone d'Anthony McCall, Conical Intersect est une coupe réalisé dans deux maisons mitoyennes du chantier du centre Georges Pompidou, créant un point de vue sur sa construction.
L'idée principale pour Matta Clark en faisant des découpes était, à l'encontre des sculpteurs qui remplissait l'espace, de rendre d'autant plus visible la beauté de l'espace en l'exhibant et en le reliant à l'extérieur.

En 1976, son frère jumeau Sebastian se suicide depuis la fenêtre du loft de Gordon. Très marqué par sa mort, l'artiste réalise en 1977 à la Documenta 6 de Kassel, Jacob's ladder pour lui rendre hommage.
La même année, il réalise Office Baroque dans un bâtiment officiel à Anvers, où il développe ses principes de découpes sur l'ensemble d'un immeuble.
En 1978 il épouse Jane Crawford, se sachant déjà gravement malade. Il meurt du cancer du pancréas et du foie le 27 août, après avoir tenté des soins avec des médecines parallèles de docteurs jamaïcains, renouvelant son intérêt pour des cultures alternatives proches de la terre. Il suit de peu le décès de son jumeau, auquel il était très lié, notamment dans leurs rapports conflictuels à leur père. Pour certains, ce sentiment d'abandon de ce père renommé, serait à l'origine de la passion de Gordon pour les bâtiments abandonnés. A sa mort, le travail de Matta-Clark reste encore à découvrir, notamment pour les centaines de dessins, photos et projets qui ne seront exposés que bien des années plus tard. Certains sont visibles pour la première fois à la rétrospective You Are The Measure organisée par le Whitney en 2007.

Patricia Maincent
*interview de Liza Bear dans Avalanche, décembre 1974