Good Boy, Bad Boy,, 1985 - 1986

Installation vidéo
deux bandes vidéo BVU NTSC, numérisées, 4/3, couleur, son stéréo (angl.), 15 min 09 et 17 min 03 montées en boucle de 51 min 18 et 60 min 39

Nom des protagonistes :
Joan Lancaster (actrice)
Tucker Smallwood (acteur)


Cette première installation vidéo de Bruce Nauman fait suite aux bandes mono que Nauman a réalisées dans les années 1960 et 1970. Il s'y est d'abord mis en scène avant d'avoir recours à des acteurs. L'idée poursuivie était d'exécuter face à la caméra une série d'actions simples mettant en relation la dynamique corps, espace, et caméra vidéo. Ces actions simples, telles que balancer son corps contre un coin de pièce, marcher autour du studio, jouer un même accord sur un violon, gestes répétés en boucle en temps réel, visaient à faire apparaître les légères variations lors des répétitions de l'action et la complexification dans la durée. Nauman s'intéressait alors aux idées de John Cage sur la musique et à celles de Merce Cunningham sur le mouvement corporel, dont la tendance était de penser l'art en termes de sa matérialité propre. En cela, cette pensée se distinguait de l'expressionnisme ayant eu cours dans les générations antérieures d'artistes, dont Martha Graham, par exemple, s'est montrée l'exégète. Les compositeurs de son temps (Philip Glass, Steve Reich) ont comme lui travaillé sur les structures répétitives, les rapports entre le temps et l'espace, envisagés de façon très concrète, et le rapport au spectateur, également envisagé très concrètement dans une interrelation reliée aux questions de structure et de mise en espace. Dans les pièces réalisées avec des néons qui ont également précédé Good Boy, Bad Boy, Nauman avait exploré les jeux de langage à la façon de Marcel Duchamp, et en était venu à explorer les théories du philosophe Ludwig Wittgenstein sur le même sujet. C'est donc armé de tous ces concepts et d'un désir d'explorer plus avant le médium télévisuel que Nauman aborde la création de cette installation vidéo en 1985. Elle sera créée pour le Musée de Krefeld, qui occupe deux maisons de Mies Van der Rohe, un des principaux architectes modernistes, dont l'œuvre gravite autour de préoccupations entre l'adéquation de la forme et de la fonction. L'œuvre que Nauman conçoit s'attaque à des questions semblables, toujours en filiation avec les préoccupations wittgensteiniennes. Nauman s'intéresse au rapport unidirectionnel du message télévisuel. Il filme deux acteurs, qui sont présentés côte à côte sur deux moniteurs. L'un est un homme, noir à la chemise blanche, qui est un acteur de théâtre, et l'autre une femme, une blanche vêtue d'une robe vert foncé, qu'il choisit dans le milieu de la publicité et des mélodrames télévisuels. L'homme répète les cent phrases composées par Nauman, comme le fait la femme par ailleurs, mais celle-ci y met plus de temps, de sorte que l'écran où l'homme apparaît demeure noir alors qu'elle termine. L'homme semble plus à l'aise que la femme à la lecture du texte. L'acteur gesticule davantage et le cadrage se modifie légèrement pour laisser apparaître les gestes de ses bras. La femme est plus statique. Le texte est répété cinq fois par chacun des acteurs. La première séquence est interprétée de façon très neutre, sans inflexion particulièrement de ton ou de voix, sans mimique du visage non plus. Pour les autres séquences, un ton différent est adopté à chaque reprise. Ce ton est de plus en plus agressif, et même violent, au fur et à mesure que la bande progresse. Les mêmes mots acquièrent alors une dimension plus complexe, où l'affect est de plus en plus présent. Les différences dans l'élocution et dans l'intensité du jeu apparaissent de plus en plus nettement d'une reprise à l'autre. Le jeu de l'homme noir juxtaposé à celui de la femme blanche fait écho à des questions de différences de sexes et de races. L'exercice formel se double d'une réflexion sur les questions identitaires. Les énoncés sont des affirmations simples du type : "I am a good boy, I am a bad boy". Elles s'enchaînent sur d'autres termes en apparence antinomiques, comme le plaisir et l'ennui, l'amour et la haine, manger et boire, chier et pisser, travailler, s'amuser, la vertu et le mal, etc. Les pronoms varient d'une phrase à l'autre, faisant graviter la phrase d'une affirmation subjective (je), à une altercation de l'autre (tu), de l'affirmation collective (nous) à l'altercation auprès d'un groupe (vous). Les plans sont plus ou moins rapprochés selon les phrases et le type d'adresse dont il s'agit. Le spectateur se voit face à un interlocuteur qui parle à la première personne : il s'adresse à lui directement en le qualifiant de ceci ou de cela selon les phrases, ou alors il le prend à témoin comme faisant partie d'une collectivité dans laquelle le narrateur est tour à tour inclus ou exclu. Aux propos énoncés se joint une qualité d'élocution qui confère un surplus de sens au langage employé. La "télévision" y perd son image unidimensionnelle, l'autorité du message et du médium est questionnée. L'équivocité et la polysémie du langage sont mises en évidence dans la tension qui est suscitée par l'installation.



Chantal Pontbriand