Touch Cinema, 1968

Betacam numérique PAL, noir et blanc, son


Touch Cinema marque le commencement de ce que VALIE EXPORT nomme l'Expanded Cinema, qui rompt la chaine commerciale de l'industrie cinématographique en déplaçant l'objet filmique sur scène ou dans la rue.



Novembre 1968, VALIE EXPORT et Peter Weibel [1] assiègent la place Stacchus à Munich. Lui s'égosille dans le tube d'un mégaphone qui hurle sur les badauds. L'artiste, elle, porte sur le torse une boîte noire perforée dans laquelle est encastrée sa poitrine nue. Les passants sont invités à venir y introduire les mains et palper les seins.



VALIE EXPORT fait de la surenchère.



Touch Cinema : Tapp und Tastkino est le titre original, soit : cinéma du toucher.



Tout à la fois manifeste et dérobé, le visible devient le toucher et l'évidence est mêlée au caché. Le titre évoque le choc du contact, celui qui dissout la frontière entre corps individuel et corps social ; un geste qui reste chez VALIE EXPORT comme autant exhibitionniste qu'introspectif. Elle se tient devant un cinéma, on remarque derrière elle une affiche de film : Der Mann mit Dem Goldenen Arm [2]. La boîte est close et l'on y glisse ses mains pendant un temps compté par l'artiste elle-même, le regard vissé sur les aiguilles de sa montre. Son visage demeure impassible et distant. VALIE EXPORT n'offre que de la peau. Les mains, une fois insérées, sont comme coupées du monde, on peut y voir une métaphore de la castration, dans la mesure où la dissociation du toucher et de la vue empêche le caractère érotique de l'expérience. On lui touche les seins, mais elle ne sent ni ne ressent rien. VALIE EXPORT explique clairement le sens de Tapp und Tastkino: " Les premiers pas d'une femme d'objet à sujet. Elle montre librement ses seins et ne suit plus aucune prescription sociale. Le fait que tout se passe dans la rue et que le consommateur puisse être n'importe qui, homme ou femme, constitue une infraction révélatrice du tabou de l'homosexualité". [3]





Lou Svahn



[1] Peter Weibel est né en 1944 à Odessa. Après avoir étudié à Paris et à Vienne, il fait parti du cercle des Actionistes Viennois. Il investit la totalité du champ de l'art : artiste, performer, directeur de recherches, éditeur scientifique, directeur de musée (ZKM Center for Art and Media depuis 1999).
[2] L'Homme au bras d'or, réalisé par Otto Preminger et sorti en 1955. Ce film est inspiré du roman éponyme de Nelson Algren. C'est le premier film hollywoodien à traiter de la drogue et des effets qu'elle provoque.
[3] Cité par Roswitha Mueller, VALIE EXPORT. Fragments of the Imagination, Bloomington Indianapolis, Indiana University Press, 1994, p.17.