L'homme public, 1995
U-Matic PAL, 4/3, couleur, son
La bande vidéo L'Homme public, l'ordre du discours (la tribune) présente successivement et dans le même décor - la cour du MAC de Marseille - la parodie de la cérémonie d'inauguration de ce musée d'art contemporain par Yves Lecoq, puis le discours du ministre de la Culture Jacques Toubon. Lire cette oeuvre sans la recontextualiser dans l'oeuvre de Philippe Parreno reviendrait à s'attacher davantage à l'imitation d'Yves Lecoq (une mise en abîme du discours et la caricature des personnalités politiques) qu'à sa présence elle-même dans la bande vidéo. L'artiste cherche à renouveler la perception et à transformer les comportements du spectateur face à l'image et aux modèles politiques et télévisuels, en recréant par exemple une manifestation (No More Reality II (La manifestation) 1991), un discours ou une émission de télévision (Surface de réparation 2), en changeant les règles de construction du message, en faisant jouer la scène par des enfants ou en utilisant le procédé de l'imitation. Le premier plan montre des enfants jouant dans le lieu d'inauguration. Il est immédiatement suivi de la séquence où Yves Lecoq apparaît en plan demi-ensemble, derrière la tribune. Enfin, la caméra montre Jacques Toubon et un public d'adultes. La référence à un public d'enfants dans la première partie indique l'espace ludique dans lequel se situe la scène et interroge par la dénégation de l'assistance attendue pour cet événement. Elle affaiblit la critique politique en effaçant le caractère politisé du citoyen adulte et recentre la scène sur la "virtualité réelle" [1]. Ce concept de Philippe Parreno désigne une représentation ludique, dans laquelle les rôles sont changés afin de mettre en évidence la forme et le fond, et d'en questionner le sens. Si dans l'inauguration officielle Jacques Toubon est le seul intervenant, Yves Lecoq imite plusieurs personnalités : Patrick Poivre d'Arvor, Jacques Chirac et le ministre de la Culture. Toutes ces voix font partie de l'émission diffusée sur Canal + : "Les guignols de l'info". L'imitateur intervient en tant qu'homme de télévision. Philippe Parreno, fasciné par Yves Lecoq, le perçoit comme un symbole de la télévision par le grand nombre de personnalités publiques qu'il représente dans ses imitations. La parodie de l'inauguration a eu lieu avant l'inauguration officielle, et elle est allée plus loin qu'une simple contrefaçon puisque l'imitateur a coupé le ruban symbolique, recollé par la suite, pour que la personnalité officielle puisse le couper à son tour comme le protocole le prévoit. Cette inversion laisse supposer que la télévision organise la vie publique. Le point de vue de Philippe Parreno est celui d'une part du téléspectateur et, d'autre part, du réalisateur qui produit un effet de réel à partir d'une fiction. L'imitateur a participé à trois oeuvres de l'artiste depuis le film La Nuit des héros (1994). Sous le titre L'Homme public, l'ordre du discours (la tribune) sont rassemblées des interventions directes de Philippe Parreno sur la télévision, et notamment une émission avec Yves Lecoq. Le but était double : transformer le message télévisuel et susciter une réaction du public. Le petit écran cherche habituellement à conserver l'attention du spectateur par le commentaire et la musique, et hiérarchise le plateau en séparant le public et le présentateur sur lequel la lumière est centrée. Philippe Parreno a transformé ces règles en coupant l'alimentation électrique du micro et des haut-parleurs et en dirigeant l'éclairage sur les murs. Le public s'est rassemblé autour de Yves Lecoq qui tenait à lui seul une discussion pleine de dérision autour du dessin animé Dragon Ball, avec l'imitation des voix de Jacques Chirac, Johnny Hallyday, Jean-Pierre Papin, Edouard Balladur et Bernard Tapie.
Thérèse Beyler
[1] "Philippe Parreno, Virtualité réelle", Art Press, Paris, numéro 208, décembre 1995, p. p>