Rêve de jeunes filles, 2001

3 vidéoprojecteurs, 2 moniteurs, 1 synchroniseur
4 bandes vidéo, 16/9, PAL, couleur, son stéréo (arabe, fr.), 28'04"


Sous la forme d'un documentaire en trois parties hautement maîtrisé, Majida Khattari aborde frontalement trois aspects complémentaires de la question du mariage dans son pays natal, le Maroc. Interrogeant (et utilisant) le stéréotype de la femme voilée, tout en le déconstruisant, elle entreprend ici l'analyse d'une question qui a pris encore plus d'actualité depuis que l'œuvre a été réalisée par l'artiste, en 2001. La lecture que l'on peut faire de Rêve de jeunes filles est celle d'une réflexion qui tente de cerner la réalité d'une culture religieuse fondée sur des traditions ancestrales, et sur laquelle viennent se greffer des discours aussi polémiques qu'approximatifs. Choisissant une forme d'expression simple, l'artiste produit un travail visuel qui, tout en empruntant à une méthode d'investigation sociologique, pose la question plus large de la condition de la femme dans la culture musulmane. Dans la continuité de ses créations de vêtements (du voile à la burka) par lequel elle procède à une critique virulente de la situation de la femme, encore aliénée au XXIe siècle, Majida Katthari y souligne également les perceptions erronées du monde arabe par les Occidentaux. L'image du poste de télévision qui apparaît dans l'un des premiers plans de Rêve de jeunes filles est ainsi volontairement pensée comme un leurre. Le téléviseur, centre du foyer et source de l'information, est entouré de tissus brodés, de bibelots et de fleurs artificielles. Symbole habituel de l'ouverture vers l'extérieur, la télévision donne la parole à une toute jeune fille qui, au lieu d'évoquer son rêve, récite sagement, d'une voix enrhumée, les préceptes du philosophe perse al-Ghazali, grand penseur de l'Islam modéré du XIIe siècle, concernant le culte et les coutumes sociales du mariage. Les trois séquences présentent chacune une femme, montrée avec beaucoup de respect. La première brode, ne s'est jamais mariée, vit avec sa mère, mais espère accéder un jour à ce monde à part qui est celui de l'union maritale. La seconde vidéo donne une vision inédite d'une cérémonie de mariage, côté masculin. Majida Khattari, qui en a conçu les costumes, porte aussi son regard sur les hommes : coiffés de voiles, ceux-ci dansent autour d'un fiancé paré comme un prince des Mille et une nuits. Tous semblent travestis. Ce glissement de genre lui permet d'évoquer les contraintes du mariage dans une société traditionnelle où l'assujettissement aux lois sociales est souvent plus fort que l'identité sexuelle. La troisième vidéo présente le témoignage d'une jeune femme d'origine marocaine et de nationalité française qui avoue son rêve : avoir un harem d'hommes. En renversant ce cliché, Majida Khattari en propose un autre, mais du mariage au harem, dans sa vidéo, sans se comprimer dans les dogmes, le corps s'exprime.


Elvan Zabunyan