The Whole World is Watching: Weatherman ‘69, 1989
Bandes vidéo analogiques Betacam SP PAL
4/3, couleur, son, anglais sous-titré en français
122 min
Raymond Pettibon (né Raymond Ginn en 1957 aux États-Unis) réalise depuis la fin des années 1970 des dessins annotés de textes et composés d’images puisant leurs sources dans la culture populaire américaine. Dans le sillage des formes artistiques de la satire sociale et de la bande dessinée américaine des années 1940 et 1950 (crime comics, pulp magazines), l’artiste américain crée ses propres zines dans les années 1980 en s’appropriant les techniques de reprographie de l’époque (Xerox art). Son travail croise les arts visuels et la musique alternative : il est associé au groupe punk Black Flag, fondé par son frère aîné Greg Ginn, et il conçoit des pochettes d’albums, notamment celle de Goo (1990) du groupe Sonic Youth. Il explore dans ses œuvres certaines figures polémiques voire controversées – de Ronald Reagan à Charles Manson [1] – pour révéler les rouages du système médiatique américain de son époque.
Le dessinateur investit également le domaine de la vidéo pour alimenter son travail satyrique par l’image en mouvement. Dans The Whole World is Watching: Weatherman ‘69, il remet en question l’utopie contre-culturelle des années 1960 et interroge les liens entre luttes sociales, violence politique et images médiatiques. L’œuvre s’inspire de l’organisation américaine Weather Underground – connue sous le nom de Weatherman lors de sa création en 1969 –, qui prônait l’usage de la violence pour lutter contre l'impérialisme états-unien et les injustices sociales, notamment durant la guerre du Vietnam. Le titre de la vidéo fait référence à un slogan emblématique des manifestations contre la guerre de cette période : « The Whole World Is Watching », exprimant l'idée que le monde entier était témoin des conflits produits par les États-Unis. Un slogan qui avait déjà été repris par le sociologue Todd Gitlin pour l’ouvrage qu’il consacre à la façon dont les médias américains ont couvert la gauche radicale états-unienne – appelée New Left – dans les années 1960, ainsi qu’à leurs conséquences sur la vie politique du pays [2]. Dans la lignée de son travail graphique au sein des milieux punk américains, Pettibon réalise cette vidéo avec Thurston Moore, Kim Gordon et Mike Watt du groupe Sonic Youth. Les musicien·nes incarnent ici des membres du Weather Underground. L’œuvre documente les activités fictives de l’organisation (lectures de textes, sessions musicales, destruction de vinyles), confrontée à d’autres acteurs interprétant par exemple Jane Fonda et John Lennon dans une narration fragmentée. Le montage volontairement désordonné, ainsi que l’utilisation d’archives, permettent à l’artiste de proposer une relecture de l’histoire de la New Left à travers une esthétique subversive. En recyclant des extraits de discours révolutionnaires et d’enregistrements médiatiques, Pettibon propose une réflexion sur la manière dont les événements et les idéologies sont enregistrés, diffusés et parfois manipulés. The Whole World Is Watching: Weatherman ’69 invite à revisiter une période d’agitation politique tout en interrogeant notre rapport aux images et à la mémoire afin de monter combien les luttes du passé résonnent dans notre époque contemporaine.
Nicolas Ballet
Décembre 2024
[1] Sur la présence de Charles Manson dans l’œuvre de Raymond Pettibon, voir Mark Goodall, « The ‘Book of Manson’: Raymond Pettibon and the killing of America », Journal of Graphic Novels and Comics, Vol. 3, n° 2, 2012, p. 159-170.
[2] Voir Todd Gitlin, The Whole World is Watching: Mass Media in the Making and Unmaking of the New Left, Berkeley, University of California Press, 1980.