Soleil, soleil, 1987

U-Matic, PAL, couleur, son


Soleil Soleil est un vidéoclip sur une chanson d'amour nostalgique de Ahmed Fakroun, chanteur algérien vivant en France. Le texte chanté en langue arabe n'est pas accessible pour le public francophone. Son thème transparaît donc par la forme musicale, l'évocation de la femme dans un univers graphique abstrait et dans la courte fiction du téléspectateur alangui par l'ambiance sentimentale - petit rôle joué par Coluche, qui a lancé le chanteur.

Le parti pris de cette mise en image de la femme, d'une part réfère à une forme de représentation en usage dans les scopitones des années 1970 réalisés en Algérie, et d'autre part répond à une problématique de diffusion de ce vidéoclip sur les chaînes françaises, dans un contexte historique où les chanteurs et acteurs originaires d'Afrique du Nord et vivant en France avaient peu de place. Ce sont les années 1980 qui amorceront l'évolution de cette question socio-politique, dans laquelle le film Tchao Pantin, réalisé deux ans avant Soleil Soleil (1984) avec les acteurs Coluche et Richard Anconina, marquera une étape.

Le montage de ce vidéoclip alterne quatre sujets en accordant une durée plus importante à la représentation sensuelle de la femme. Les prises de vues centrées en plan demi-ensemble et en plan moyen, réalisées en 35 mm et retravaillées en régie vidéo, s'organisent dans un rythme lent. Symboliquement, la première et la dernière séquence du clip sont des plans fixes sur la mer : ils indiquent la séparation géographique et une conception de la variété tournée vers le pays d'origine, qui diffère du point de vue développé par la jeune génération dans les années 1990.

Le sujet de la chanson est représenté par des lumières colorées et un texte en écriture arabe projetés sur un corps féminin filmé en négatif et sur des rectangles blancs manipulés comme des pages dans l'écran. Ces motifs sont incrustés sur le fond de l'écran, où ondulent des lumières évoquant le soleil et un univers coloré. Le langage graphique et la typographie objectivent le sujet. Le corps ganté dans un vêtement noir et son mouvement fluide mettent en abîme les images orientales de la femme et de la danse. La sensualité et la représentation s'adressent à un public plus large que celui concerné par ce genre musical.

Les plans séquences où le chanteur apparaît sont peu nombreux. Il est présenté dans l'extrême simplicité liée à cette catégorie de variété : debout, les bras en mouvements larges. Son regard tourné vers la caméra et le spectateur soutient par son intensité le texte chanté. Sa chemise et le fond monochrome de l'écran sont dans des couleurs complémentaires (rouge/vert, orange/bleu) qui changent à chacune de ses apparitions et jouent ainsi sur l'harmonie.

La fiction dans laquelle est inscrit le téléspectateur est à peine esquissée. Néanmoins elle entrecoupe la représentation graphique par des plans séquences de courte durée. Elle accroche le téléspectateur indifféremment de ses goûts musicaux par la présence de Coluche et par l'ironie avec laquelle elle représente la réception de ce genre musical. Un marin assis dans un grand fauteuil en cuir, la braguette ouverte, fume, boit une bière et s'endort. Puis il sursaute et fait un effort de concentration sur le clip. Haussant l'épaule en rythme, il indique à la fois qu'il suit le rythme et qu'il s'ennuie. Cette mise en scène représente un des rapports à la musique que la télévision a introduit. Jean-Baptiste Mondino a souligné cette problématique du vidéoclip dans de nombreuses réalisations. L'apathie et la consommation passive dans Soleil Soleil sont à l'opposé de l'impact du rythme frénétique sur le singe téléspectateur dans C'est comme ça des Rita Mitsouko, film court réalisé en 1985.

Le travail graphique dans le vidéoclip est une innovation de Jean-Baptiste Mondino, présenté ici sous l'aspect d'une peinture vidéographique abstraite et développé dans d'autres films courts en interaction avec des éléments formels et des rythmes plus saccadés et rapides, ainsi dans La danse des mots (1982) ou encore dans Mia Bocca de Jill Jones (1987).


Thérèse Beyler