Enigma, 1978, 3' Formation, 1983, 9' Metastasis, 1971, 8' Mona Lisa, 1973, 3' White hole, 1979, 7', 1971 - 1983

U-matic, NTSC, couleur, son


Formation illustre la scission géométrique des images récurrente dans l'œuvre de Toshio Matsumoto. La vidéo découpe l'image de différentes manières, en déplace des parties égales verticalement ou horizontalement et imprime des rotations à chaque fragment dans le cadre général de l'image. La vidéo est tout entière composée de gros plans du visage d'Uzaemon Ichimura, le célèbre acteur japonais de kabuki, qui se maquille avec soin et selon la tradition. Il souligne les muscles faciaux de traits de couleur épais. Le titre, Formation, prend alors un double sens. Il fait à la fois référence au processus de transformation des images et à celui de l'apparence de l'acteur, qui sera doué d'une personnalité différente sur scène.

Le début de la vidéo nous montre le visage de l'acteur dans sa globalité, visage qui s'avérera ensuite être un reflet dans une glace. La double nature de l'image continuera à se démultiplier, puisque l'image sera découpée en bandes légèrement décalées entre elles ou juste désynchronisées. Une autre forme de multiplication reproduit un détail précis de l'image jusqu'à ce que ces fragments identiques, seulement distingués par des différences de cadrage, finissent par couvrir tout l'écran. Ce processus de désintégration, d'addition et de multiplication visuelles est parallèlement amplifié par la bande son, réalisée par l'artiste lui-même (comme l'a déclaré Nanako Tsukidate dans une interview de janvier 2011). A l'origine, une musique entêtante accompagne le rituel du maquillage de l'acteur. Alors que l'image devient progressivement un assemblage composite de fragments autonomes, une bande son minimaliste se fait entendre en contrepoint de la musique. Si la musique de départ est composée de sons espacés, la bande son minimaliste, elle, contient un rythme et des sons réguliers qui donnent un sentiment de volume. Quelques brefs instants de silence ajoutent tension et dynamisme à la richesse de ce paysage sonore.

Depuis ses premiers films expérimentaux qui remontent aux années 1960, Matsumoto appartient à la première génération des cinéastes expérimentaux japonais. Bien qu'il ait , comme il l'affirme, forgé son approche de l'image sans être influencé par les artistes ou les cinéastes occidentaux, une pièce comme Formation peut être rapprochée de certaines œuvres de la tradition de l'avant-garde occidentale, notamment du Ballet mécanique de Fernand Léger (1924), qui présente une visage de femme de manière fragmentaire, ou des films abstraits de Hans Richter dans lesquels les formes géométriques se déplacent dans le cadre, selon des directions et des schémas différents. Ces œuvres abstraites constituées d'images animées ont pour modèle de référence la peinture abstraite ou cubiste – des genres qui remettent en question l'illusion de la perspective et de la profondeur. De la même façon, dans Formation, l'image en constante désintégration et en constante reproduction ôte toute stabilité à sa représentation et désigne, par ce jeu géométrique, sa propre platitude tout en faisant écho au caractère indéfini du personnage théâtral.

Sylvie Lin