Mont Fuji, 1984
U-matic NTSC, couleur, son
Ko Nakajima fait partie des artistes japonais pionniers de l’art vidéo. Après des débuts dans la vidéo d’animation, il s’empare des nouvelles technologies en s’appropriant et développant différents logiciels lui permettant de créer de véritables collages plastiques en mouvement. Chaque œuvre est la manifestation d’une quête unifiée à la manière d’un arbre, autour d’un tronc commun et de racines enfouies, qui se dévoilent progressivement, au fil de la découverte de l’œuvre d’une vie.
Mon Fuji date de 1984, époque où Ko Nakajima a déjà bien affirmé son style, manipulant les images, et son univers, très marqué par un rapport aux éléments naturels et traversé par la philosophie orientale. Cette bande est emblématique des recherches qu’il mène grâce à l’invention de « l’aniputer »[1], machine permettant facilement de distordre, superposer, incruster les images. Au rythme d’une musique répétitive, différentes images du Mont Fuji composent des structures géométriques, du cadre perspectiviste au rubik’s cube, traversées par des photographies qui se détachent régulièrement et dérivent face au spectateur. Le Mont Fuji est un lieu hautement mythique dans la culture japonaise, symbole religieux et national. Il est au centre de nombreuses œuvres, inscrivant l’homme dans un rapport au temps long d’une montagne, et à son ambiguïté fondamentale, puisque l’impression de stabilité et de pérennité est habitée par l’idée d’une possible éruption volcanique. En jouant avec des images fixes et plates qui traversent l’écran, Ko Nakajima rappelle la dérive tectonique des plaques qui peut du jour au lendemain effacer l’image bienveillante du Mont Fuji.
Si les effets génèrent une esthétique aujourd’hui un peu surannée (très représentative de l’époque), cette vidéo rend compte de la capacité des artistes à s’approprier les innovations technologiques, voire à les provoquer, révolutionnant ainsi l’histoire des formes. Une démarche que l’on retrouve par exemple dans l’œuvre de l’artiste chinoise Cao Fei, où le fantastique s’introduit dans le réel en recourant aux possibilités nouvelles de l’animation numérique. Ko Nakajima est ainsi précurseur d’une création artistique qui s’opère dans la complicité avec la recherche industrielle.
Mathilde Roman
[1] Créée avec le département de recherché de J.V.C.