Ana Mendieta a fait plus de 70 films, qui documentent ses performances, faites en galerie, et ses travaux de sculptures dans la nature. Dès le début de ses travaux éphémères, elle a le souci de la permanence de la trace, et fait donc systématiquement appel à la photographie ou au film. Réalisés entre novembre 1972 et juin 1981, les films de cette sélection relatent la chronologie de ses œuvres permettant d’appréhender l’évolution de son travail et la permanence de ses sujets. Souvent réalisée en Super 8, la durée de la prise de vue est alors conditionnée par la taille de la bobine, qui filme 3 minutes maximum. Probablement une de ses plus célèbres performances filmée en 1972, l’œuvre Untitled (Chicken Piece) montre des éléments récurrents de son travail que sont la nudité du corps féminin, le sang et les plumes. Dans un rituel sacrificiel, un poulet, décapité devant un public, fait ses derniers soubresauts, pendu aux mains de Mendieta, qui se tient nue debout devant le mur blanc de la galerie, se laissant éclaboussé par les gerbes de sang qui s’écoulent du cou du poulet. Renvoyant explicitement aux sacrifices religieux, notamment du culte Santeria, très présent à Cuba, la performance ritualise un double sacrifice, celui de la volaille et du corps de l’artiste, livrés au public. Dans Body Tracks, Mendieta, debout dos au public, applique ses bras levés sur le mur blanc et trace deux lignes jusqu’au sol avec du sang imbibé sur ses manches de chemise, créant la forme d’un arbre avec son corps. Image inversée des Siluetas, où elle inscrit son corps avec des éléments organiques dans la nature, ici c’est son corps qui imprime la nature dans l’enceinte du monde civilisé. C’est en 1974 que débute la série des Siluetas, avec la séquence Laberinth Silueta tournée au Mexique dans un site historique. Tracée avec du sang sur le sol, la forme en 2 dimensions du corps de l’artiste contraste avec les piliers gris en vieilles pierres, usées par le temps. Déracinée dès sa jeunesse, le rapport à la terre prend une importance fondamentale pour Mendieta. En laissant son empreinte au sol, elle prend possession des lieux et retrouve un lien à la nature. Dans Untitled (Grass Breathing), un plan séquence de 3 minutes montre un champ d’herbes, dans lequel une parcelle se soulève, comme sous l’effet d’une respiration. La respiration s’accélère puis s’apaise, laissant apparaître la découpe rectangulaire de la taille du corps de Mendieta, qui donne vie à cette terre. Burial of the Nanigo est un document sur une installation en galerie. Dans l’espace obscurci de la galerie une Silueta, allongée en position de sacrifice avec le contour tracé en bougies, se consume. Filmées pendant le vernissage, les taches noircies sur le sol étaient les seuls éléments visibles pour la durée de l’exposition. Pour Candle Ixchell, Black Ixchell, la notion de rituel est encore plus frappante. Un corps est allongé et enroulé dans du feutre dans un rectangle tracé au sol, avec des objets de cérémonie posés dessus, une main, un miroir et une bougie. Puis toute une série de Siluetas est documentée avec simplement le nom du lieu et une caractéristique en introduction. Silueta en pierres et poudre à canon dans un désert, en pierres et terre, en mousse dans un marais, en sable sur le bord mer… La dernière séquence, tournée dans l’Iowa, montre une figure peinte sur les craquelures d’une terre très aride. De la poudre à canon, glissée dans les fissures, se consume en redessinant le contour et en enfumant l’espace, rendant l’ambiance très mystérieuse. L’explosion finale !

Patricia Maincent