Totem, 2001

Betacam numérique, PAL, noir et blanc, son


" C'est le génie propre à la femme et son tempérament. Elle naît fée. ", Jules Michelet, La sorcière, 1862, introduction. Maïder Fortuné croit en la puissance des images, croit en leur capacité à produire des sensations susceptibles de se muer en pensées. Des pensées rapides, légères, furtives comme des feux follets. Ou bien des pensées profondes, lourdes, enfouies, que l'on a la sensation d'avoir déjà eu, dont on peut se souvenir. Maïder Fortuné met de l'ordre dans le chaos de l'enfance qu'elle prend à bras le corps : elle construit pour cela des images simples et sophistiquées, naturelles et techniques, temporelles et suspendues. Photographique ou vidéographique, isolée ou plurielle, sonore ou silencieuse, chaque image qu'elle produit, propose une situation où le corps de l'infans c'est à dire le corps d'avant la maîtrise du langage semble prendre place dans un récit qui oscille entre fable et mystère. Prenant le prétexte du jeu – jouer à la corde à sauter, jouer à faire le mort, jouer à voler Maïder Fortuné propose au spectateur des scénographies de l'enfance bien loin des clichés d'innocence et de liberté le plus souvent associées à ce temps sans limite, ce temps idéalisé du " paradis perdu " qu'est l'enfance. Le point de vue, le cadrage et le traitement technique de l'image construisent des représentations inquiétantes et inquiétées de cet " âge d'or ". Dans Totem (2001), le corps de l'artiste en " petite fille " saute à la corde, mais le cadre n'en laisse voir que le visage et les épaules, et le temps de l'action d'origine est manipulé sous la forme de ralentis et de freinage divers. Ainsi ce grand visage en noir et blanc très cinématographique semble glisser dans le cadre et à chaque rebond se transforme, se défigure, se liquéfie, s'animalise, se " totémise ", se vide de sa substance, puis se reconfigure et se réhumanise. Le son constitué de bruits plutôt abstraits, évoque néanmoins des craquements ou des ambiances sous-marines qui influencent la perception des images et les commentent. Le temps de cette vidéo est un temps synthétique, un temps produit par les machines, un temps calculé à partir de points donnés ; c'est une représentation du temps et non le temps réel (l'action ne dure qu'une minute mais est étirée en une dizaine de minutes). Dans cette durée propre au médium s'opèrent les métamorphoses de la figure : apparaissent alors le visage de la mort ou des figures d'extase maniéristes ou baroques, un squelette sans chair ou une chair sans structure. L'image se montre dans son processus même de construction et de déconstruction ; l'apparition d'un visage n'étant qu'un moment furtif, une conquête sur l'informe, l'embryonnaire, le germinatif, l'organique. Ces états où l'image n'est qu'une matière traversée d'énergie sans intention propre, oscillant entre la pulsion vitale et le suspens mobile, entre éros et thanatos . La fin de la séquence réinstalle le visage dans sa vitesse propre et dans son altérité sous la forme du regard pointé vers la caméra, vers le monde, nous rappelant qu'une image – une vraie nous montre toujours quelque chose.


Françoise Parfait


Extrait de l'essai " A l'ombre des petites filles démons et merveilles ", éd. Acte de naissance, Valenciennes, avril 2006.