Frantz Fanon : Black Skin, White Mask, 1996

Betacam numérique, PAL, couleur, son


L'une des grandes références d'Isaac Julien est Frantz Fanon[1]. Son œuvre a permis d'ouvrir les problématiques de l'identité noire au-delà des frontières géographiques. Ce paramètre est primordial dans le processus de l'artiste qui se nourrit fortement des notions inhérentes au voyage, au déplacement de territoires, pensées selon une approche critique et géopolitique.

Les travaux d'Homi Bhabha, de Stuart Hall et de Françoise Vergès, les plus importants analystes de Fanon, ont permis à l'artiste de compléter son terrain de recherche personnel en parcourant avec précision la notion d'identité visuelle. Ils apparaissent tous trois dans le film Fanon, Black Skin, White Mask qu'Isaac Julien réalisé en 1996. Archives historiques, entretiens et scènes jouées y alternent et soulignent l'importance du regard qui marque la différence. Longuement analysé par Fanon, c'est ce regard qui a permis à Bhabha de reprendre, au début de son essai " Interrogating Identity, Frantz Fanon and the postcolonial prerogative ", la phrase qui conclut Peau Noire, Masques blancs : " Le nègre n'est pas. Pas plus que le blanc[2]". Il souligne " la difficile division qui coupe la ligne de sa pensée et permet de garder vivant le sens dramatique du changement. Cet habituel parallèle des sujets coloniaux – Noir/Blanc, Soi/Autre – se trouve déstabilisé par une brève pause et les fondements traditionnels de l'identité raciale se retrouvent dispersés, quand bien même ils restent inscrits dans les mythes narcissiques de la négritude ou de la suprématie culturelle blanche.[3] " Chez Isaac Julien, ces éléments de réflexion sont intégrés selon une méthodologie filmique très précise, où la place du montage comme rupture entre les plans, travaille de la même façon que le point dans la phrase de Fanon vient interrompre l'espace syntaxique. Cette interruption visuelle, le propre même d'une (dis)continuité filmique, se renforce souvent par une projection sur double ou triple écran.

"  Quand je travaillais à Frantz Fanon, peau noire, masque blanc (1996), je me demandais comment réconcilier les différentes interprétations, souvent contradictoires, de Fanon. Il vécut tant de vies en si peu de temps ! Il me fallait innover et trouver le moyen de traduire visuellement sa dimension poétique. Brillant analyste, c'était aussi un homme qui avait des idées très étranges. Fanon a expliqué avec une grande clarté ce qu'était l'expérience d'être Noir et comment cela a joué un tel rôle dans l'imaginaire des Noirs comme des Blancs. Je voulais représenter ce qu'est une pensée sophistiquée du fantôme pervers et irrationnel du concept de race, si brillamment exposé par Fanon. Je voulais en restituer la beauté terrifiante, la rendre obsédante… "[4]

 

Elvan Zabunyan

 



[1] Ses principaux ouvrages, Peau Noire, masques blancs (1952), Les Damnés de la Terre (1961) et Pour une révolution africaine (1964) ont été des références pour les mouvements de décolonisation et de libération, sur le continent africain, aux Etats-Unis comme aux Antilles.

[2] Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris : Seuil, 1952, p.187

[3] Homi Bhabha, "Interrogating Identity, Frantz Fanon and The Postcolonial prerogative ", in The Location of Culture, Londres : Routledge, 1994, pp. 57-58

[4] Propos d'Isaac Julien recueillis par Françoise Vergès, Isaac Julien, Editions du Centre Pompidou, Paris, 2005, p.20